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René Feuillebois, Essai de restitution de l'autel érigé par Saint-Benoît dans l'abbatiale d'Aniane, in: Archéologie du Midi médiéval 3 (1985) S. 19–26

L'objet de cette étude de texte est de proposer une nouvelle interprétation d'un passage de la Vie de saint Benoît, rédigée au IXe siècle par Ardon. Ce fragment, qui décrit l'autel majeur de l'abbatiale d'Aniane, a déjà été traduit par plusieurs auteurs. Malheureusement, les divergences qui apparaissent entre les versions les plus connues découragent toute tentative de restitution.

Aucun vestige ne subsistant de l'église primitive, ce document, malgré sa brièveté (il n'occupe que quinze lignes dans la Patrologie latine de Migne) revêt donc une importance capitale.

L'interprétation proposée constitue une hypothèse qui ne prétend pas régler définitivement la question et encore moins permettre de dresser une image précise jusqu'en ses moindres détails de l'autel d'Aniane. Ce n'est qu'une traduction parmi d'autres, mais elle se voudrait, à la fois, proche de la lettre du texte et fidèle à son esprit, tout en demeurant parfaitement respectueuse des exigences de la liturgie.

The aim of this textual study is to put forward a new interpretation of a passage from the life of Saint Benoît, written in the 19 th century by Ardon. This fragment, which describes the major altar of the Aniane Abbey, has already been translated by seueral writers. Unfortunately, the differences between the best known versions discourage all efforts at reconstruction.

This document, despite its brevity, (only 15 lines in the Migne latin Patrology), takes on a capital importance since there are no surviving traces of the original church.

The proposed interpretation establishes a hypothesis which does not claim to settle the question conclusively, and even less to set up a precise picture down to the last detail of the Aniane altar. It is only one rendering among others, but hopes to be both close to the letter of the text and faithful to its spirit, while remaining perfectly respectful of liturgical demands.

||19A|| Parmi les vingt-huit monastères existant en Septimanie à l'époque carolingienne, [1] rares sont ceux qui, de nos jours, présentent encore quelque témoignage important de leur architecture d'origine. L'abbaye d'Aniane, pour sa part, ne conserve, en place, aucun vestige apparent de l'édifice élevé par saint Benoît, qu'il s'agisse de l'église ou des bâtiments conventuels. [2] C'est dire que, pour tenter une restitution de la construction primitive, à défaut de fouilles qui n'ont jamais pu être entreprises, il est indispensable de s'en remettre à des documents dont l'interprétation laisse subsister nombre d'incertitudes. Ainsi, l'ordonnance intérieure de l'abbatiale ne peut être déterminée qu'approximativement, malgré la description qui en est donnée dans la Vie de saint Benoît, écrite au IXe siècle, de la main même d'un disciple du premier abbé. [3]

Cette Vie a été rédigée à la demande des moines trois d'Inden, [4] dit dans sa préface Ardon, qui, estimant ||19B|| ce travail au-dessus de ses forces, a longtemps refusé de l'entreprendre. En se rendant, enfin, à la prière ses frères, il a laissé un document où, parmi les inévitables excès auxquels a pu se laisser entraîner l'hagiographe, se trouvent des détails que seul un témoin oculaire est en mesure de rapporter. Or, ce texte est précieux, puisque, malgré ses imperfections, il décrit un édifice qui, aujourd'hui, a totalement disparu, à la suite des profondes transformations opérées par les Mauristes, à la fin du XVIIe siècle.

Le but de la présente étude n'est pas, à l'aide de la relation d'Ardon, d'offrir une image d'ensemble de l'église primitive, [5] mais seulement de définir la forme générale de l'autel, en tirant parti des renseignements contenus dans la Vita sancti Benedicti Anianensis. Toutefois, un tel travail ne peut être envisagé à partir des traductions déjà établies, car la confrontation de d'entre elles fait apparaître des divergences insur||20A||montables. Dans ces conditions, il a semblé indispensable, avant de formuler toute hypothèse, de procéder à un examen approfondi du fragment de la Vita, où est décrit l'autel de l'abbatiale. C'est pourquoi, en premier lieu, on rapprochera le texte d'Ardon des diverses interprétations qu'il a suscitées ; ensuite, par l'étude de documents contemporains de l'auteur et d'ouvrages de référence, on s'attachera à résoudre les principales difficultés que soulève le récit ; enfin, on tentera une restitution de l'autel construit par saint Benoît.

I. LES TRADUCTIONS ET LE TEXTE ORIGINAL.

A. Traduction de l'abbé Cassan (1875) [6]

"Le vénérable Père Benoît par un pieux et noble sentiment ne voulut pas dédier ce temple en l'honneur d'un saint quelconque ; mais comme nous l'avons dit, il le dédia à la sainte Trinité. C'est pour cela qu'il fit construire un autel triple, comme figure de la sainte Trinité. C'est un seul autel; mais ayant trois tables sur chacune desquelles on peut offrir le Saint-Sacrifice, représentant ainsi d'une manière sensible l'unité de Dieu en trois personnes. Cet autel est creux en dedans, à l'instar de celui que Moïse construisit dans le désert. Il y a une porte par derrière et c'est là que sont renfermées les reliques du monastère. Voilà pour ce qui regarde l'autel."

B. Traduction de Fernand Baumes (1910) [7].

"Le vénérable Père Benoît poussé par une pieuse considération, ne voulut pas prendre des saints pour titulaires, mais, en l'honneur de la divine Trinité, comme nous l'avons déjà dit, il consacra cette église. Pour que ce que je viens de dire soit plus clairement reconnu dans l'autel qui est comme le premier de tous les autres, il eut l'idée de faire placer trois autels, pour qu'ils paraissent ainsi figurer la personnalité de la Trinité et la disposition en est merveilleuse montrant en trois autels l'individuelle Trinité et en un seul autel démontrant la divinité une par essence. Cet autel est solide à l'extérieur, mais creux en dedans, figurant ainsi celui que Moïse construisit dans le désert. Il y a par derrière une petite porte où les jours ordinaires sont enfermées dans des coffrets diverses reliques des Pères. Que cela suffise pour l'autel."

C. Traduction de l'abbé Saumade (1889) [8].

"Benoît avait en outre ordonné qu'autour de l'autel principal trois autres furent dressés. Dans sa pensée le premier réprésentait l'immuable unité de l'essence divine et les derniers la trinité sainte des personnes. Cet autel majeur était construit sur le modèle de celui que Moïse fit élever au désert. Il avait des parois solides, était creux intérieurement, de sorte que par une ouverture pratiquée à sa partie postérieure on pouvait y enfermer les reliques du monastère."

||20B|| D. Texte original. [9]

"Siquidem venerabilis Pater Benedictus pia consideratione praeventus non in alicujus sanctorum praetitulatione, sed in deificae Trinitatis, uti jam diximus, nomine praefatam ecclesiam consecrare disposuit. Quod ut, dico, luce clarius agnoscatur, in altari, quod potissimum prae caeteris videtur, tres aras censuit supponi, ut in his personalitas Trinitatis typice videatur significari. Et mira dispositio, ut in tribus aris individua Trinitas, et in uno altari essentialiter firma demonstretur Deitas. Altare vero illud forinsecus est solidum, ab intus autem cavum : illud videlicet praefigurans quod Moyses condidit in eremo, retrorsum habens ostiolum, quo privatis diebus inclusae tenentur capsae cum diversis reliquiis Patrum. Haec de altario dicta sufficiant. "

Lorsqu'on lit attentivement ces textes, on est étonné des discordances que les versions françaises présentent avec l'original. Certes, la description d'Ardon n'est peut-être pas d'une clarté parfaite, mais les trois traductions citées ne peuvent qu'en accroître l'obscurité apparente. A la base de ces interprétations, où chaque auteur donne la fâcheuse impression de manquer d'assurance, se trouve le terme ara. Un premier examen montrera comment chacun a rendu, en français, ce mot, source de tant de difficultés.

Pour l'abbé Cassan, il s'agit de la table d'autel ; c'est pourquoi il conclut à l'existence d'un autel formé de trois tables. Mais alors, cet autel triple ne représenterait que les trois personnes de la Trinité, sans évoquer de manière évidente l'unité divine, puisque le traducteur ne donne aucune précision sur la disposition de l'ensemble. [10]

Fernand Baumes, lui, fait des trois arae trois autels destinés à figurer chacune des trois personnes, mais il omet d'indiquer la relation unissant les trois autels à l'autel unique ; on pourrait croire qu'il en existe un quatrième pour symboliser la Trinité.

L'abbé Saumade, enfin, présente son interprétation personnelle qui a, au moins, le mérite de la clarté : un autel principal entouré de trois autels, le premier étant seul comparé à l'autel construit par Moïse. Malheureusement ici le traducteur se livre à un amalgame entre deux passages séparés l'un de l'autre par une vingtaine de lignes. En effet, ce n'est que beaucoup plus loin dans sa description, qu'Ardon fait état de l'édification, dans l'abbatiale, de trois autels, mais ceux-ci ne symbolisent nullement les trois personnes de la Trinité, puisqu'ils sont dédiés respectivement à saint Michel, aux saints Pierre et Paul, et à saint Etienne. [11]

Les interprétations inconciliables auxquelles a donné lieu le terme ara imposent donc un retour au texte original, afin de déterminer, autant qu'il sera possible, le sens précis de ce mot.

||21A|| II. ANALYSE DU TEXTE ORIGINAL.

Si l'on considère l'importance que présentait pour Ardon la rédaction de cette "Vie de saint Benoît d'Aniane", on peut aisément imaginer qu'il en a pesé chaque mot [12]. Il n'ignorait pas, en effet, que les moines d'Inden, tout en l'estimant seul capable d'écrire la vie de leur fondateur, se montreraient, sous le couvert de la charité fraternelle, d'impitoyables censeurs. On peut donc tenir pour certain qu'il a particulièrement soigné son œuvre, non seulement pour en assurer la pureté grammaticale, "s'adressant à plus savants que lui" [13], mais aussi afin d'éviter toute critique sur la véracité ou la précision de son témoignage.

Dans ces conditions, le texte de la Vita peut mériter confiance et rien ne s'oppose à en dégager certaines données essentielles qui feront l'objet d'une étude approfondie. Ces données sont au nombre de trois :

1) "in altari... très aras censuit supponi... "
2) "Forinsecus est solidum, ab intus autem cavum... "
3) "Quod Moyses condidit in eremo... "

Ces extraits vont être examinés tour à tour, afin de tenter de préciser la pensée d'Ardon et proposer une interprétation à la fois fidèle au texte et respectueuse de la logique.

1) "in altari... très aras censuit supponi... "

Ce membre de phrase constitue la pierre d'achoppement, car il détermine l'un des traits caractéristiques de l'autel. C'est dire que la traduction présente une importance capitale. Chaque terme doit donc être analysé le plus soigneusement possible, tant pour ce qui est de la syntaxe que du vocabulaire.

En ce qui concerne la syntaxe, la construction employée par Ardon étant parfaitement correcte, puisqu'il s'agit d'une proposition infinitive introduite par censuit, seul le verbe supponi peut soulever quelque difficulté. L'auteur a-t-il utilisé ce terme au sens classique ou, au contraire, a-t-il suivi l'usage médiéval d'après lequel le préfixe, dans un verbe composé, ne modifie en rien le sens primitif ? [14]. Il semble qu'il convienne d'opter pour la seconde solution. En effet, quelques lignes plus bas il écrit : "... ilud uidelicet praefigurans quod Moyses condidit in eremo... " où praefigurans ne peut qu'être l'équivalent de/iourans ; de même, il avait déjà écrit dans la préface : "... peritioribusque debitum auferrem laborem... " où aufero a incontestablement le sens de fero. [15]

||21B|| En se référant uniquement à la syntaxe, on pourrait donc proposer la traduction littérale suivante : "il estima que trois arae devaient être disposées sur l'autel."

Pour ce qui est du vocabulaire, seul le terme ara présente des difficultés certaines de traduction, en raison des acceptions variées qu'il peut prendre, tant dans la langue classique que dans le latin médiéval. Il importe d'en donner le sens au moment où Ardon écrivait, car, aussi bon latiniste qu'il fût, il a montré qu'il subissait l'influence des usages de son époque. Etant admis que la Vita a été rédigée peu de temps après la mort de saint Benoît [16], c'est-à-dire peu après 821, il a semblé qu'une réponse pourrait être utilement recherchée d'abord dans les écrits des contemporains de l'auteur.

Dès la fin du VIIIe et pendant le IXe siècle, le mot ara a été employé notamment par Eigil, Candide, Walafrid Strabon, Raban Maur ; or, chacun de ces écrivains lui a donné le sens d'autel (soit le sens propre, soit le sens mystique) [17]. L'étude d'un mot ressortissant au vocabulaire religieux ne saurait cependant se limiter à quelques exemples tirés soit de "Vies" (c'est le cas pour les œuvres d'Eigil et de Candide), soit de textes mystiques ou poétiques. Il est indispensable de rechercher également si, pendant la même période, ara était utilisé en liturgie, si ce terme présentait une ou plusieurs acceptions et s'il venait ou non en compétition avec altare, forme la plus répandue pour exprimer la notion d'autel.

Pour répondre à ces questions, on a interrogé les livres liturgiques en usage pendant l'abbatiat dé saint Benoît. Relativement nombreux, ils n'ont pu, malheureusement, être tous consultés. Les investigations se sont limitées, d'abord aux Ordines romani [18], dont plusieurs furent connus de l'Eglise gallicane ; puis à deux sacramentaires : le Gélasien d'Angoulême [19] et le Sacramentaire de Gellone [20] ; enfin, on a eu recours à un témoin de la liturgie wisigothique : le Liber ordinum [21].

Les Ordines romani, en raison de leur faible étendue, ont été intégralement parcourus ; les autres ouvrages ont été partiellement dépouillés. Dans ce dernier cas, on s'est borné aux chapitres où l'idée d'autel pouvait être le plus souvent évoquée, c'est-à-dire l'ordo des ordinations et ceux de la dédicace de l'église et de la consécration de l'autel.

La récapitulation ci-après fait apparaître le résultat de ces dépouillements, en ce qui concerne la fréquence d'emploi des termes ara et altare :

a) Ordines romani du haut moyen âge [22] (ordines I-V, XLI, XLI1, XLIII) datés du VIIIe ou du début ||22A|| du IXe, sauf l'ordo V, plus tardif (seconde moitié du IXe) ; ouvrages liturgiques circulant en Gaule, dont certaines (IV, V, XLI) nettement imprégnés d'usages gallicans ............ ara : néant altare : 169

b) Sacramentaire gélasien d'Angoulême [23] (VIII' - début IXe) ............ ara : néant . altare : 55

c) Sacramentaire de Gellone [24] (dernière décennie du VIIIe) ........ ara : néant altare : 31

d) Liber ordinum (en usage du Ve au XIe dans l'Eglise wisigothique d'Espagne) ................... ara : 1 altare : 40

Dans ce dernier ouvrage, l'unique mention d'ara se trouve à l'ordo des cérémonies du vendredi-saint, où la rubrique est ainsi rédigée : " Hora huius diei tertia, lignum sancte Crucis in ecclesia principali in patena ponitur super altaris aram." [25]

On peut donc conclure, d'après ces textes, qu'ara n'est pas un terme appartenant au vocabulaire courant de l'Eglise romaine ou gallicane du haut moyen âge, alors que dans la liturgie wisigothique, où il est peu employé cependant, ou le rencontre avec le sens de "table d'autel".

La même remarque pourrait s'appliquer à un document postérieur aux ordines et aux sacramentaires, le Pontifical romano-germanique du Xe siècle, où ce mot ne figure que rarement, mais dans un sens bien différent, puisqu'il est l'équivalent de area. [25bis]

En revanche, ara apparaît assez souvent au XIIIe siècle. C'est ainsi que l'examen du Pontifical de Guillaume Durand a fourni le résultat suivant :

Dans les trois chapitres (II, III, IV) du Livre II [26] qui traitent de la dédicace de l'église et de la consécration de l'autel, il est employé onze fois. Dans neuf cas il est l'équivalent de "mensa" et dans les deux autres il figure sous la forme "ara seu altare". Il s'agit ici uniquement de la présence de ce terme dans les rubriques. Il est utilisé, en outre, dans un répons et un offertoire :

Répons : "Vos sarcerdotes et leuite sanctificamini et afferte aram domini Dei Israel ad locum qui ei paratum est. " [27]

Offertoire : "Stetit angefus iuxta aram templi habens thuribulum aureum in manu sua. " [28]

||22B|| Dans le répons, ara prend, pour la circonstance, le sens "table d'autel". En effet, ce texte est chanté après l'ensevelissement des reliques "in medio summitatis stipitis", lorsque prêtres et diacres réunis portent la table, jusque là déposée à proximité de l'autel, afin de la fixer sur son socle.

Dans l'offertoire, au contraire, ara conserve le sens "autel", puisque le chœur l'entonne après l'ensevelissement des reliques et la fixation du couvercle du sépulcre, lorsque l'évêque encense l'autel. Guillaume Durand prend bien soin de préciser ici que la cérémonie se déroule de cette manière chaque fois que les reliques sont enfermées dans la table elle-même, ou dans la face avant ou arrière du pied, puisque, dans ces différents, cas, la table a pu être scellée sur le pied avant la consécration.

II existe, en outre, deux autres acceptions, mystiques celles-ci, mais fort anciennes, du mot ara. Il s'agit des expressions ara crucis et ara cordis. La première figure, à la fois, dans le Liber mozarabicus sacramentorum [29] et dans l'hymne des vêpres pour le dimanche de Pâques [30], ainsi que dans la secrète de le messe votive de la Sainte-Croix [31]. Quant à la seconde, elle remonte également à une haute antiquité, puisqu'elle a été employée par Grégoire le Grand [32]. Si ara crucis ne constitue qu'une transposition du mystère chrétien par un rappel de ses origines : l'autel étant le lieu du sacrifice, la croix sera l'autel par excellence, il n'en va pas de même pour ara cordis. Cette expression semble une allusion à la notion de l'autel juif, où brûlait le feu des holocaustes, feu comparable à celui qui doit consumer le cœur du fidèle sur l'autel de l'amour de Dieu ; ce sens sera même réaffirmé plus clairement encore dans une autre citation du même auteur : "in ara amoris cor ardeat". [33]

Cet inventaire, malheureusement limité, des sources écrites doit être complété par le recours au magistral ouvrage du P. Joseph Braun sur l'autel chrétien. [34]

Après avoir remarqué que le vocable ara a servi, exceptionnellement d'ailleurs, à désigner l'autel pendant la période carolingienne, le savant jésuite note l'emploi de ce mot au XIe siècle, dans un sens très particulier. Il signale une inscription de 1051 commémorant, à la cathédrale d'Essen, l'ensevelissement des reliques lors ||23A|| de la consécration des autels de la crypte : ici, seul l'autel majeur est nommé altare, les autres étant désignés par ara. [35] Puis il cite une autre acception d'ara, qu'il traduit par Altarplatte, et apporte, à l'appui, le texte d'Ardon [36]. Or, Altarplatte correspond bien à "table d'autel".

La citation d'Ardon est également reprise par le Mittellateinisches Wörterbuch, auquel il a été fait référence précédemment, mais elle constitue le seul exemple destiné à illustrer le sens tabula altaris.

Mis à part cet important ouvrage, les dictionnaires se sont peu intéressés au vocable ara. Daremberg et Saglio mentionnent seulement, en fin d'article, parmi les termes de basse latinité, altare et altarium, utilisés pour désigner un autel plus haut que les autels ordinaires, et citent, à ce propos, Paul Diacre et Isidore de Séville, [37] mais ils n'étudient ara que dans son emploi en latin classique.

Le Grand Dictionnaire de droit du moyen âge [38] ne retient pour ara que le sens "autel, lieu sacré où se font les œuvres de loi (serment)."

Du Cange, pour sa part, ne s'attarde guère sur un mot pour lequel il note seulement deux expressions, dans la composition desquelles il entre : "ara dignitatis, in qua nulli licet celebrare praeterquam sacerdotibus in dignitate constitutis ; ara sacrata, parvula tabula consecrata quae mensae altaris non consecratae superponitur vel inseritur ad sacra facienda."

Dans le premier cas ara a donc le sens d'autel et dans le second d'autel portatif.

Quant à Blaise, il donne les définitions suivantes : [39]

a) autel (ara dignitatis, ara sacrata)
b) autel (sens mystique)
c) "tombeau."

Niermeyer, dans son "Mediae latinitatis lexicon minus" ne mentionne même pas ce mot.

Ces recherches destinées à fixer un point de vocabulaire, bien que menées en plusieurs directions, n'ont ||23B|| pas permis d'avoir accès à tous les documents susceptibles de fournir des éclaircissements, et c'est regrettable. Il résulte néanmoins du dépouillement des ouvrages consultés qu'ara, pendant le haut moyen âge, a présenté simultanément, mais avec des fréquences variables, les deux sens "autel" et "table d'autel".

Or, aucune de ces deux acceptions ne peut être retenue, en raison du contexte.

Le sens "autel", doit être exclu à cause du lien qui unit ara et altare (in altari... très aras supponi). En outre, le texte, à plusieurs reprises souligne la distinction : dans le passage cité, en effet, si Ardon emploie deux fois ara et quatre fois altare c'est, non pas pour éviter une répétition, mais bien pour marquer qu'il ne s'agit pas du même objet.

Ensuite, on ne peut attribuer à ara le sens "table d'autel", car les règles liturgiques ne permettent pas la construction d'un autel à trois tables : la table doit être unique [40]

Dans ces conditions, la question demeure entière en ce qui concerne le récit d'Ardon : quelle signification donner à ara ? L'examen des deux autres citations de la Vita qui restent à étudier permettra, peut-être, de résoudre ce délicat problème.

2) "forinsecus est solidum ab intus autem cavum... "

Les erreurs d'interprétation qui ont été commises sur cette phrase tiennent d'abord à un contre-sens.

La traduction "solide à l'extérieur" de Baumes et celle, aussi curieuse, de l'abbé Saumade "parois solides" n'apportent rien à l'intelligence du texte et constituent même , implicitement, un pléonasme. En effet, pourquoi, s'agissant d'un autel fixe qui répondait, selon toute vraisemblance, aux règles liturgiques, Ardon aurait-il précisé en le décrivant qu'il était solide, alors que sa nature même emportait cette qualité ?

Ici également, il est indispensable de ne pas négliger certains détails. Si l'auteur a cru bon d'employer la conjonction autem, ce n'est sans doute pas sans raison : il tenait à marquer une opposition qui n'était pas ||24B|| perceptible à l'œil, mais importante cependant pour la suite du récit. Pour contenir les reliques du monastères, il était nécessaire que l'autel fût, au moins partiellement, creux. Alors, opposant forinsecus et intus, Ardon écrit que, malgré son apparence massive, lorsqu'on le voyait de l'extérieur, l'autel était cependant creux. En adoptant cette traduction, tout devient simple et l'adjectif solidus conserve le sens que lui attribue la langue classique.

3) "quod Moyses condidit in eremo... "

Ici non plus, il ne saurait pas être question d'une simple clause de style ou d'une image poétique. Si l'on se reporte au passage de l'Ancien Testament où est décrit l'autel que Dieu ordonna à Moïse de construire, on lit : "Facies et altare de lignis acaciae, quod habebit quinque cubitos in longitudine et totidem in latitudine, id est quadrum, et tres cubitos in altitudine" (Exode, 27, 1), puis, au dernier verset du même chapitre : "Cavum ex tabulis facies illud..." (Ibid., 27,8) [41]

Plus loin, lorsque est narré l'épisode de la construction elle-même, la première phrase est reprise sous une forme semblable : "Fecit et altareholocausti de lignis acaciae''quinque cubitorum per quadrum et trium in aîtitudine " (Ibid., 38,1). La seconde, par contre, insiste sur un caractère particulier : "psum autem altarenon erat solidum, sed cavum ex tabulis et intus vacuum. " (Ibid., 38,7) [42] Ici l'adjectif solidus se traduit par "plein".

L'autel d'Aniane est donc semblable à l'autel du désert, mieux même, il en constitue la réplique, praefigurans, écrit Ardon. Cependant, compte tenu des matériaux utilisés et du procédé de construction employé, l'aspect extérieur n'est pas identique : l'autel d'Aniane apparaît massif, celui du désert, non : "non erat solidum", mais l'un et l'autre sont creux. Cette ressemblance devrait aider à mieux se représenter certains détails de l'autel construit par saint Benoît et permettre de proposer une restitution qui soit en accord avec le texte d'Ardon.

III. ESSAI DE RESTITUTION DE L'AUTEL D'ANIANE.

Les deux autels étant creux, il est nécessaire de déterminer ce que la cavité intérieure représentait pour chacun d'eux. Cette particularité semble, pour l'autel de Moïse, se justifier de deux manières. D'abord, elle satisfaisait à l'ordre du Seigneur, puisque le texte dit expressément : "Cavum... facies illud". Ensuite, elle assurait plus de légèreté à l'autel et, par conséquent, plus de mobilité. Le peuple juif, en cette période de son histoire, était un peuple nomade, qui transportait son ||24B|| autel de campement en campement, au fur et à mesure de ses déplacements. [43]

Pour l'autel d'Aniane, en revanche, la cavité intérieure correspondait à l'utilisation particulière d'une construction fixe : la conservation des reliques dans un reposoir digne de les accueillir, lorsque les exigences de la liturgie ne permettaient pas de les exposer à la vénération des fidèles.

Une disposition architecturale de même genre, mais ne correspondant pas au même usage, avait déjà été adoptée dès les Ve et VIe siècles, à Rome, pour les autels-tombeaux de la basilique de St-Alexandre sur la voie Nomentane, de l'église souterraine des Sts-Côme-et-Damien, et de la basilique des Sts-Apôtres. L'autel, dans ces trois cas, surmonte le tombeau constitué par une chambre sépulcrale en réduction. Mgr Andrieu décrit ainsi les autels eux-mêmes : "De forme cubique, ils sont creux à l'intérieur, la table reposant sur quatre dalles de marbre dressées de champ (à St-Alexandre, les faces latérales sont maçonnées)". [44]

D'autres autels, dont la plupart appartiennent à une époque postérieure, sont étudiés par le Père Braun, qui les groupe sous la dénomination générale de "Kastenaltar", ou autels-coffres. Il cite, en particulier, San-Giovanni in Oleo, à Rome, St-Martin, à Cividale et St-Etienne, à Ratisbonne. [45]

Ainsi, l'autel à cavité intérieure construit par saint Benoît ne constitue pas une exception, puisqu'il a été précédé et suivi, au cours des siècles, par d'autres de même type. Cependant, dans les autels-tombeaux, l'espace libre ménagé dans l'intérieur du socle permettait bien l'accès aux reliques, mais celles-ci reposaient à demeure dans le sépulcre. La cavité, dans ce cas, recevait les brandea que l'on désirait placer au contact du corps saint, après les avoir introduits par la fenestella. [46] La ressemblance se limite donc ici, comme pour l'autel de l'Exode, à une particularité commune dans la construction, mais ne s'étend pas à une similitude dans l'utilisation.

Lorsqu'il comparait l'autel d'Aniane à celui que Moïse construisit au désert, Ardon avait probablement en mémoire, sinon sous les yeux, le texte même de la Bible : l'opposition entre solidus et cavus semble bien être une réminiscence de l'Exode.

Or, dans ce passage, cavus est lié à tabula : "Cavum ex tabulis facies illud", dit la Vulgate. L'autel de Moïse consiste donc en un coffre fait de planches assemblées. Pour en être une réplique fidèle, l'autel d'Aniane doit reproduire, en maçonnerie, la même forme. Mais, si tabula signifie "planche", ce mot sert aussi à désigner une dalle de petites dimensions, qu'il ||25A|| s'agisse d'un autel portatif [47] ou de la plaque scellant le loculus dans l'autel fixe. [47bis] Ainsi, tabula qui, dans ces deux cas prend le sens de "dalle", peut, par extension, évoquer l'image de la table d'autel, sens qui est donné à ara, non seulement dans la liturgie wisigothique, comme il est a été dit plus haut, mais encore de nos jours, en Catalogne. [48]

Ainsi, l'autel d'Aniane a-t-il pu se présenter comme "cavum ex aris", c'est-à-dire construit à la parfaite image de celui de Moïse, bien que les matériaux en fussent différents.

Alors l'expression "in altari très aras censuit supponi" pourrait se traduire par : "il fut d'avis que trois dalles (en forme de table d'autel) fussent plaquées sur l'autel". Il semble bien que ce soit dans ce sens que le P. Braun ait interprété le texte, lorsqu'il écrit : "Der hl. Benedikt... brachte auf einem Altar... très aras an", puisque brachte... an signifie : il appliqua, il fixa.

L'autel de l'abbatiale se serait donc présenté comme une construction en partie creuse et revêtue de trois dalles, celles-ci faisant corps avec la maçonnerie et ne constituant pas un parement amovible. Cette décoration ne devait rien avoir de commun, par exemple, avec les ornements offerts à l'abbaye de Gellone par Louis de Pieux qui "altaria aura argentoque vestivit" [49], sinon Ardon l'eût certainement indiqué.

Il reste maintenant à déterminer la manière dont ces trois dalles pouvaient être fixées sur l'autel. Comme il a déjà été démontré, il est impossible d'envisager qu'elles aient pu être, d'une façon quelconque, incorporées à la table. Elles ne pouvaient donc être placées que sur le pied de l'autel, en applique.

Cette hypothèse peut s'appuyer sur un texte dont on n'a pas fait état jusqu'à présent, car, de l'avis unanime, il est considéré comme un faux. Il s'agit du prétendu sermon qu'Ardon aurait prononcé lors de la dédicace de l'abbatiale [50] et au cours duquel il aurait dit : "Adest hic ara triplex, solius columnae unitate sub-nixa... " [51] phrase que l'on peut rendre en français par : "Ici se trouve une triple dalle appuyée à la masse d'un seul pilier." La rédaction ne reprend pas, évidemment, le mot à mot de la Vita, mais le faussaire décrit une construction qu'il connaît, en recourant à une expression différente. Il paraît utile de ne pas négliger la précision qu'il apporte, à savoir que les trois arae étaient disposées sur le pied de l'autel.

||25B|| En revenant au récit authentique d'Ardon, on trouvera d'autres précisions pour aider à la restitution envisagée. Le texte indiquant expressément que les arae étaient destinées à figurer les trois personnes de la Trinité (in tribus ans indiuidua Trinitas), elles devaient former un tout, d'où l'ara triplex du sermon. Elle devaient, en outre, pour respecter l'égalité des personnes être de mêmes dimensions. Elles ne pouvaient donc former le socle d'un autel de plan rectangulaire, car cette condition d'égalité n'eût pas été réalisée. Il demeure bien entendu que la face postérieure, où était ménagée une porte, possédait ses caractères propres et ne participait nullement au 'symbolisme trinitaire, puisqu'elle échappait à la vue des assistants.

L'égalité des trois plaques de parement supposait donc un autel de plan carré ; mais l'autel de Moïse ne répondait-il pas à cette exigence ? Rien dans le récit d'Ardon n'autorise à affirmer que saint Benoît en avait également reproduit les dimensions (cinq coudées, c'est-à-dire environ 2 m 25 à 2 m 50 pour chacune des faces), mais lorsque l'on se souvient du respect qu'il professait à l'égard des valeurs symboliques, on ne peut délibérément exclure cette hypothèse ; d'autant plus qu'elle corroborerait l'un des détails de la description : "Quod potissimum prae caeteris videtur". Quel meilleur moyen, en effet, pour assurer à cet autel la prééminence sur tous les autres que de la désigner à l'attention des fidèles par ses dimensions ? On confirmerait ainsi une supériorité déjà accusée par sa forme massive opposée à celle, probablement plus légère, des trois autels pouvant être situés à proximité et qu'Ardon énumère quelques lignes plus loin dans son récit (il s'agit des autels consacres à St-Michel, aux SS-Apôtres et à St-Etienne). Ceux-ci pourraient être constitués d'une simple table reposant sur une colonne centrale ou sur quatre piliers, selon les modèles courants de l'époque.

Ainsi, d'après les indications contenues dans la Vita, l'autel de l'abbatiale d'Aniane aurait pu être formé d'un imposant massif de maçonnerie, creux, de plan carré, revêtu sur trois de ses faces d'un parement composé de panneaux (de marbre ?) ornés, peut-être, chacun de la représentation symbolique d'une des personnes de la Trinité ; la face arrière, non décorée, aurait été munie d'une porte donnant accès à la cavité intérieure obstinée à recevoir les reliques du monastère.

En partant de ces éléments, la traduction suivante pourrait être proposée pour l'ensemble du fragment de ||26A|| la Vita Sancti Benedicti Anianensis faisant l'objet de cette étude :

"Ainsi, comme nous l'avons déjà dit, Benoît, notre vénéré Père, poussé par une pieuse considération, décida de ne pas placer cette église sous le patronage de quelque saint que ce fût, mais de la dédier à la divine Trinité. A notre avis, ce fut pour manifester plus clairement cette intention qu'il fît revêtir la base de l'autel qui doit l'emporter sur tous les autres, de trois dalles en forme de table évoquant ainsi symboliquement chacune des personnes divines . C'était là une admirable disposition puisque les trois dalles représentaient l'indivisible Trinité, alors que dans l'autel unique s'affirmait l'essence de la Divinité. Vu de l'extérieur, cet autel apparaît massif, bien qu'il soit creux, rappelant ainsi celui que Moïse construisit au désert. Il présente, à l'arrière, une petite porte permettant de conserver à l'intérieur, les jours ordinaires, les coffrets contenant les reliques des protecteurs du monastère. Cette description de l'autel nous semble suffisante."

La traduction a respecté l'expression "l'autel qui doit l'emporter sur tous les autres", bien que la tournure, en français, ne soit pas très heureuse, pour montrer que, même s'il n'emploie pas le terme "maître-autel", Ardon vise, dans sa description, non pas l'un quelconque des autels de l'abbatiale, mais bien le premier d'entre eux.

Une autre expression a été maintenue également, même si elle paraît constituer une erreur : il 'agit de uti jam diximus. En effet, si l'on se reporte au début du chapitre 26, passage auquel Ardon semble faire allusion, on constate que l'abbatiale a été consacrée au saint Sauveur et non à la sainte Trinité. D'ailleurs, l'abbaye sera toujours connue sous le vocable du Saint-Sauveur. Pourquoi Ardon a-t-il commis cette confusion ?

On ne peut, à proprement parler, considérer cette double appellation comme une erreur. En effet, l'abbatiale dédiée au Sauveur était bien consacrée à l'une des personnes de la Trinité et non à un saint. Elle était, en outre, suffisamment connue de ceux à qui s'adressait Ardon, pourqu'il ne se produisît dans leur esprit aucune confusion, même si l'on donnait à l'édifice le nom réservé à l'autel majeur.

En revanche, le vocable Saint-Sauveur sert à désigner tantôt l'abbatiale, tantôt l'autel, aussi bien dans la Vita que dans le sermon du pseudo-Ardon. Malgré son origine douteuse, ce dernier texte peut néanmoins être retenu pour éclairer un détail de vocabulaire. Voici les exemples qui ont été relevés tant dans la Vita que dans le sermon :

1) "... monasterium quod... in honore Domini Dei ac Salvatoris nostri Jesu Christi... aedificavit. " [52]

2) "... sermo... in consecratione altaris sancti Salvatoris ejusdem monasterii... " [53]

3) "... ad honorem Dei templa... constitueret quoddam insigne in Christi Salvatoris nomine constitua. " [54]

4) "... illa nostri Salvatoris... felix aula..." [55]

5) "... Sancti Salvatoris aula..." [56]

6) "... praecipuo Salvatoris... altario..." [57]

Ce rappel de l'importance de la dédicace au Saint Sauveur ne doit cependant pas faire perdre de vue l'insistance avec laquelle Ardon parle de la Trinité. Si le mot revient trois fois sous sa plume en quelques lignes, c'est que ce dogme semble étroitement lié aux conditions historiques.

Ardon écrit, en effet, que saint Benoît, avec l'aide des ducs et des comtes, commença à construire une importante église "en l'honneur de notre Seigneur et Sauveur, la quatorzième année du règne de Charlemagne" [58], c'est-à-dire en 782. Or, c'est à la fin du VIIIe siècle que l'adoptianisme fit son apparition. Condamné au Concile de Francfort en 794, puis au Concile d'Aix-la-Chapelle en 800, il étendit à ce point ses ravages que, de 798 à 800, Alcuin dut, à plusieurs reprises, mettre les moines goths en garde contre le grave danger que cette doctrine représentait pour l'Eglise du Midi. [59] ;

La construction de l'abbatiale d'Aniane se poursuivit donc à une époque où la croyance religieuse était, attaquée dans ses fondements mêmes. Ainsi s'expliquerait chez saint Benoît le souci de maintenir l'intégrité du dogue trinitaire, afin de saper, par ce moyen, l'hérésie à sa racine. C'est ce souci que rappellerait peut-être la courte indication de la Vita : pia considérations praeventus. A quoi pourrait, en effet, correspondre cette pieuse considération, sinon à assurer la défense de la foi, non seulement par les moyens officiels, auxquels saint Benoît a largement participé, mais aussi par des mesures plus modestes ?

Même si Ardon ne le dit pas de manière explicite, lorsqu'il remercie Dieu d'avoir préservé son abbaye "ab omni pestifero perfidiae errore" [60] on ne peut s'empêcher de voir en saint Benoît un ardent collaborateur de la grâce divine. Et peut-être que, s'ajoutant à l'enseignement théologique que le saint abbé n'a pas manqué de dispenser généreusement à ses fils, le symbole éclatant représenté par le maître-autel autour duquel, plusieurs fois par jour la communauté se rassemblait pour l'office, a contribué à protéger le monastère d'un mal qui menaçait alors d'envahir, après la marche d'Espagne, la Septimanie tout entière.

Anmerkungen

[1] Si, à la liste donnée par la Notitia de servitio monasteriorum de 817, qui ne cite, croit-on, que les abbayes royales, on ajoute les monastères identifiés par divers auteurs, on arrive au nombre total de 28 (y compris les petits établissements) se répartissant ainsi entre les départements actuels : Gard : 2, Hérault : 7, Aude : 14, Pyrénées Orientales : 5

[2] Aniane, bourg de 1 600 habitants, est situé à environ 25 kilomètres au N.O. de Montpellier. Seule l'église est ouverte au public. Les bâtiments conventuels, détournés de leur destination primitive au début du siècle, abritent aujourd'hui une maison de redressement.

[3] Vita S. Benedicti Anianensis, auctore Ardone seu Smaragdo ejus discipulo, in Migne, Patres latini, t. CIII, col. 351-384.

[4] Inden, aujourd'hui Kornelimünster, est situé à 15 kilomètres au sud d'Aix-la-Chapelle. Saint Benoît y construisit un monastère dont l'abbatiale fut consacrée en juillet 817. On a retrouvé en 1959 les vestiges de l'église primitive sous l'actuel édifice, qui date de la fin du XIIIe siècle (Carol HE1TZ, L'architecture religieuse carolingienne, Paris, 1980. p. 131-132).

[5] Une étude très documentée a été consacrée à ce sujet par Mme Brigitte Uhde-Stahl, qui a utilisé l'un des plans conservés aux Archives nationales (Département des plans, cote NIII, Hérault 11-8) et a publié les résultats de ses travaux sous le titre Ein unveröffentlichter Plan des mittelalterlichen Klosters Aniane, dans la revue "Zeitschrift für Kunstegeschichte", Band 43, 1980 (Deutscher Kunstverlag München Berlin)

[6] Vie de S. Benoît d'Aniane écrite par Ardon son disciple, traduite par l'abbé Cassan, curé d'Argelliers, Montpellier, 1875, p. 54-55.

[7] La vie de S. Benoît d'Aniane par S Ardon son disciple, traduite sur le texte même du cartulaire d'Aniane par Fernand Baumes, Paris, 1910, p. 27.

[8] Vie de S. Benoît d'Aniane par l'abbé J.E. Saumade, Montpellier, 1889, p. 184.

[9] Migne, op. cit. , col. 364, AB.

[10] Cette disposition, probablement unique dans 14 liturgie, aurait mérité une description plus précise.

[11] "Tria denique altaria in eadem sunt dicata ecclesia vel basilica. unum videlicet in honorem sancti Michaelis archangeli, aliud in venerationem beatorum apostolorum Petri et Pauli, tertium in honorem almi protomartyris Stephani." Migne, op. cit., col. 364, C.

[12] Mgr Griffe, parlant de la "Vita", écrit : "C'est un document des plus sûrs", Histoire religieuse des anciens pays de l'Aude, t. I, p. 192, n° 2

[13] "... peritioribusque debitum auferrem laborem, qui queunt, copia verborum affluentes, pompatice quaeque volunt enucleare, et inter syrthes nihil paventes regere cymbam, soloecismorumque vitare fetorem..." Migne, op. cit., col. 353, D.

[14] Dag Norberg, Manuel pratique de latin médiéval, Paris, 1968, p. 162, N° 7. [15] Cf. supra n° 13.

[16] Mgr Griffe, Ibid.

[17] Otto Prinz und Johannes Schneider, Mittellateinisches Wörterbuch, München, 1967, s.v.

[18] Mgr Andrieu, Les ordines romani du haut moyen âge, 5 tomes, Louvain, 1965-1974.

[19] Le Sacramentaire gélasien d'Angoulême, texte établi par Léopold Delisie, édité par Dom Cagin, Angoulême, 1918.

[20] Liber sacramentorum gellonensis, cura A. Dumas, O.S.B., in Corpus christianorum, séries latina, CLIX-CLIX A, Turnhout, 1981.

[21] Le liber ordinum en usage dans l'église wisigothique et mozarabe d'Espagne du Ve au XIe siècle, publié par Dom Marius Férotin, in Monumenta ecclesiae liturgica, Paris, 1904.

[22] Mgr Andrieu, op. cit., t. II, p. 1-227, p. 309-413.

[23] Dom Cagin, op. cit., f. 42v - 44v, 140v - 166v.

[24] Dom Dumas, op. cit., t. CLIX, p. 360-398.

[25] Dom Férotin, op. cit., col, 194, LXXXIIII, Ordo de VIa feria in Parasceve.

[25bis] Le Pontifical romano-germanique du dixième siècle, édité par Cyrille Vogel et Reinhard Elze, à partir des collations laissées par Mgr Andrieu, Cité du Vatican, 1963-1972, Tome Ier, p. 117 l. 11, p. 119 1.4, p.120 l. 27.

[26] Mgr Andrieu, Le Pontifical romain au moyen âge, t. III, Le Pontifical de Guillaume Durand, Citta del Vaticano, 1940, p. 455-504.

[27] Ibid., p. 486, n° 40.

[28] Ibid., p. 485, n° 36.

[29] Le liber mozarabicus sacramentorum et les manuscrits mozarabes, par Dom Marius Férotin, Paris, 1912, cité par Albert Blaise, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, s.v. ara.

[30] Antiphonale monasticum pro diurnis horis ordinis sancti Benedicti, a Solesmensibus monachis restitutum, Tournai, 1934, p. 459 : "Cujus corpus sanctissimum/In ara crucis torridum".

[31] Références aimablement communiquées par M. l'abbé Elie Carail.

[32] A. Blaise, ibid.

[33] A. Blaise, ibid.

[34] Joseph Braun S.J., Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, 2 tomes, München, 1924.

[35] "Ara begegnet uns als Name des Altares auch seit der Karolingerzeit gerade wie vorher im ganzen nicht gerade oft. Am häufigsten erscheint ara in diesem Sinne noch bei den Dichtern. In dem aus dem Jahre 1051 stammenden Inschriften, welche die in den Altarën der Krypta der Münsterkirche zu Essen bei der Weihe geborgenen Reliquien verzeichnen, wird der Hauptaltar altare genannt, di Nebenaltäre führen dagegen in ihnen den Namen ara : In hac ara habentur reliquiae... in hoc altari continentur... in ista ara habentur..." (J.Braun, op. cit.,t. I, p. 33).

[36] Voici le texte du P. Braun (Der Chrisliche Altar... t.1, p. 33) : "Stärder tritt in nachkarolingischer Zeit auch bei ara die Bedeutung Altarplatte in den Vordergrund.

"Der hl. Benedikt von Aniane (821) brachte auf einem Altar (in uno altari) nach seiner Vita [Fn6] tres aras an, um so zugleich in ihm Gottes, Einheit und Dreifaltgkeit zu symbolisieren... In dem Annalen von Sens wird gelegentlich ara ausdrücklich näher erläutert als lapis maxima, quae erat super praedictum altare, einem Altar der Kathedrale nämlich, den ein Blitztrahl getroffen hatte. Manche Beispiele für ara ais als "Name der Altar-platte bieten die Pontifikalien des 14. und 15. Jahrhunderts.

[Fn6] N. 17 (M.G. XV, 206). Vgl. auch Pseudo-Ardonis Sermo in consecratione altaris s. Salvoris (A. SS. O.S.B. IV I, 214)".

[37] Daemberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1881, s.v. ara.

[38] Joseph Balon, Grand dictionnaire de droit au moyen âge, Nämur, 1973.

[39] A. Blaise, Lexicon latitinitatis medii aevi, s.v.

[40] "Pourvu que sa table et son support soient de pierre naturelle, la première étant d'un seul bloc, tout autel peut être consacré." (Robert Lesage, Objets et habits liturgiques, Paris, 1958, p. 13).

"... L'autel au sens strict, ce qu'on appelle l" autel fixe" est une pierre naturelle unique reposant sur une base elle-même de pierre, ou, au moins, quatre pieds ou montants de pierre." (Jean Hani, Le symbolisme du temple chrétien, Paris, 1962, p. 112, n° 1)

Bien que l'on ne puisse fixer de manière précise la date à laquelle remonte cette prescription (table d'un seul bloc), on doit noter que l'obligation de construire des autels de pierre, à l'exclusion de tout autre matériau, a été imposée en 517, par le Concile d'Epaone, qui dispose dans son canon 26 ; "Altaria nisi lapedea crismatis unctione non sacrentur."

[41] Noua vulgata Bibliorum sacrorum editio, Cittia del Vaticano, 1979, p. 116.

[42] Ibid, p. 133.

[43] "Le tabernacle était au milieu du camp ; la tribu de Lévi campait tout autour. Le soin de le démontrer, d'en transporter les différentes parties et de le remonter lui appartenait. Une nuée le couvrait habituellement ; quand elle s'élevait, les Israélites se mettaient en marche pour s'arrêter quand elle redescendait sur le tabernacle." (M. Edom, Histoire sainte, Paris, 1876, p. 67).

[44] Mgr Andrieu, Les ordines romani au haut moyen âge, t. IV, p. 373-374.

[45] J. Braun, op. cit., t. I, pl. 28 et 29.

[46] Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, s.v. Brandeum

[47] "Bède signale dans son Histoire ecclésiastique que deux Anglais, missionnaires chez les Saxons, en 692, emportaient avec eux les vases sacrés et la pierre d'autel, tabulam altaris vice dedicatam (D.A.C.L. tome I/2, c. 3187, s.v. Autel).

Du Cange cite le canon IX du Concile de Mayence de 888, qui autorise la célébration de la messe hors d'une église "si tabula altaris consecrata, caeteraque ministeria sacra ad id officum pertinenta adsunt" (Glossarium, s.v. Tabula 1).

[47bis] Pontifical romano-germanique du Xe siècle, tome I, p. 171, n° 139-140.

[48] II est intéressant de noter à ce sujet que le mot ara appartient encore au vocabulaire catalan et castillan, où il sert à désigner tantôt l'autel païen, tantôt la pierre consacrée de l'autel chrétien. Par extension, il est aussi employé dans les ouvrages d'archéologie avec le sens de "table d'autel". (Nous devons ces renseignements à l'obligeance de notre éminent correspondant à Barcelone, M. Joan Auladell, que nous tenons à remercier ici).

[49] Migne, op. cit., col. 373, D. - cf. Du Cange : "Vestire : aulaeis ornare".

A propos de la décoration des autels au moyen âge, cf. Jacques Bousquet, Des antependiums aux retables. Le problème du décor des autels et de son emplacement, in Cahiers de St-Michel de Cuxa, n° 13, particulièrement p. 210-213, "Les frontaux sculptés en pierre, figuratifs ou non figuratifs".

[50] Migne, op. cit., Appendix prima, col. 389-390.

[51] Ibid., col. 390 A. Voici le texte complet de ce passage : "Adest hic ara triplex, solius columnae unitate subnixa, significans Trinitatis unitatem, ut in personis proprietas intelligatur, et deitatis unitas credatur..."

[52] Migne, op. cit., col. 366 A.

[53] Migne, op. cit., col. 389 A.

[54] Migne, op. cit., col. 389 B.

[55] Migne, op. cit., col. 389 D.

[56] Migne, op. cit., col. 390 A.

[57] Migne, op. cit., col. 390 B.

[58] Migne, op. cit., col. 363 D. L'expression employée par Ardon est ambiguë. Il écrit en effet, "aliam rursus in honorem Domini et Salvatoris nostri ecclesiam praegrandem construere cœpit". Pour que cette phrase apparaisse parfaitement claire, il convient de se souvenir qu'existait encore à notre époque, à Aniane, sous le nom d'oratoire de Saint-Saturnin, l'église primitive élevée par saint Benoît lorsqu'il arriva en ces lieux (Migne, op. cit., col. 371 CD).

[59] Elisabeth Magnou-Nortier, La société laïque et l'église dans la province ecclésiastique de Narbonne de la fin du VIIIe à la fin du XIe siècle siècle, Toulouse, 1974, p. 87-98.

[60] Migne, op. cit., col. 361 B. Cf. également Mgr Griffe, op. cit., p. 97.


Letzte Bearbeitung: $Date: 2008-10-23 19:52:24 $